Balades littéraires

L’indésir

🚶‍♀️C’est parti pour une nouvelle balade littéraire ! ✒️

🗼Cette fois-ci, c’est sur les traces de L’indésir de Josephine Tassy publié aux éditions L’Iconoclaste que je vous embarque !

🤓 J’ai beaucoup aimé ce premier roman et je ne m’attendais pas, en l’ouvrant, à découvrir un livre aussi ancré dans Paris.
J’ai commencé à corner les pages qui mentionnaient des lieux et, à la fin, elles étaient si nombreuses que l’exercice de la balade s’est imposé !

🗺️ Comme dans toute oeuvre littéraire, la topographie reste parfois approximative ou romancée et j’ai parfois beaucoup hésité sur le choix des lieux permettant de correspondre au mieux aux scènes du récit.

🤞J’espère que le résultat vous plaira et vous donnera envie de lire ce premier roman très réussi !

Édition utilisée

Cartographie des lieux

1

1. Rue Saint Maur

Le garçon est trop grand pour mon canapé, ses pieds pendent par-delà l’accoudoir. Il ronfle. […] Son mollet tressaute. Merde, il va se réveiller. Aucune envie de faire la conversation, déjà quand on a couché, quel pensum, mais là, sans avoir couché, impensable. Il comprendra qu’il faut claquer la porte en partant.
J’attrape mes clés et je m’en vais. La rue Saint-Maur est vide ce matin, un camion-poubelle tourne au coin. Le serveur du café d’en bas, il s’appelle Paul, sort les tables sur le trottoir. […] Le café est mauvais à l’Étincelle, mais c’est un café qui fait des bruits de café. Ça me plaît. […] J’oublie que ma mère est morte et je suis de bonne humeur. On l’enterre tout à l’heure. […] Je vois avoir l’air brumeux, parce que j’entends, pas bien réveillée ? Je qui le caniveau des yeux. Contre le ciel blanc, je vois le garçon qui a dormi sur mon canapé.

p. 19-21

2

2. Crématorium du Père Lachaise

C’est rapide, une crémation. On est entrés dans une grande salle, aseptisée, blanche partout sauf une mosaïque bleu vif, un bleu hors sujet, sur le mur derrière le cercueil. On s’est assis. Des gens ont dit des choses que je n’ai pas retenues. Des histoires de premières rencontres, de dernière fois, des mots d’esprit et des mots d’amour. […] On nous a proposé de nous approcher pour dire adieu. La moitié de la salle s’est levée, moi non, j’ai toujours détesté aller au tableau. A la queue leu leu, ils ont fait leurs adieux chronométrés. Des dégaines solennelles, des têtes d’enterrement, parfois deux-trois larmes. Une rousse a déposé un baiser sur le cercueil.

p. 37-38

3

3. Villa Faucheur

 Il ne reste personne d’autre que ce tout jeune homme tout triste.
[…] Excusez-moi, j’ai pas l’habitude d’être triste. Je m’appelle Félix. Et vous deux, vous êtes ?
Moi c’est Nuria.
Abel.
Je sortais avec… Enfin c’était clair j’imagine. Je lui avais jamais dit. Je lui avais jamais dit je t’aime. […] Bon je vais y aller, je connais plus personne. Salut !
Abel lui répond, et ses mots se marchent les uns sur les autres.
Nous non plus on connaît personne.
Bah qu’est-ce que vous faîtes là ?
Moi je suis avec elle.
Moi c’était ma mère.
[…] Je peux pas te laisser partir comme ça. Vous voulez venir déjeuner à la maison ? C’est pas loin.
Du cimetière à chez Félix, on marche longtemps, les deux autres devant, moi derrière. […] On s’engage dans une impasse, villa Faucheur. Félix nous entortille le long d’un petit escalier, et on entre chez lui. […] Félix reprend l’histoire de leur rencontre, celle qu’il a essayé de raconter dans la chapelle avant de fondre en larmes. Ils se sont rencontrés à une fête. Elle portait une très longue robe et elle était belle.

p. 41-45

4

4. Belleville

On débarque dans la rue, Abel reste planté devant la porte cochère. Tu veux faire quoi maintenant ?
Je vais rentrer je crois.
Tu veux que je t’accompagne ?
Je ne sais pas si je veux de lui à côté de moi. Mais Félix, je n’y aurais pas survécu s’il n’y avait pas eu Abel. Peut-être que je lui dois quelque chose, à Abel. Peut-être qu’il me rend le temps plus doux.
Je prends le métro à Belleville. Je cherche un ticket dans mon sac. Merde, il est où ? Je vide mon sac par terre. C’est sale un trottoir, pisse séchée chewing-gums collés. Mascara briquet téléphone tampon une fiole de parfum crayon carnet. Je n’ai pas mon porte-monnaie.
J’ai pas mon porte-monnaie. Je suis sûre de l’avoir pris en partant ce matin putain. Merde on me l’a volé fait chier c’est vraiment pas le jour.
Abel remonte vérifier s’il n’est pas là-haut. C’est idiot, il n’y a pas de bon jour pour se faire voler son porte-monnaie. Je fouille une autre fois dans mon sac. Pas là.
Alors j’attends qu’Abel revienne. Je retourne les images les gestes les riens qu’en deux heures à peine on oublie déjà, mon porte-monnaie doit être caché derrière une maladresse. Abel revient.
Y avait rien. On est seulement allés au Père-Lachaise, depuis ce matin. Tu veux aller voir s’il y est ?
J’ai vraiment pas envie.

p. 76-77

5

5. Cimetière du Père Lachaise

L’homme au bout de l’allée grogne quelque chose. En habits de travail, il fait une pause, il a posé son râteau contre un drôle de mausolée – deux gisants collés l’un à l’autre, un homme et une femme, sous une nef néogothique.
Je m’approche. […]
Je peux vous aider ?
Je cherche mon porte-monnaie, je crois que je l’ai perdu ici.
Bah je l’ai pas moi votre porte-monnaie.
Il n’y a pas un service des Objets trouvés quelque part ?
Ha ha ! Les objets trouvés du Père Lachaise. Eh ben, la bonne idée. […]
Pour le porte-monnaie, vous aurez peut-être plus de chance avec Serge. Il m’indique un bistrot, devant l’entrée principale du cimetière. Lui dites pas que vous venez de ma part, je lui dois dix balles pour cinq Astro et je veux pas être rappelé à sa mémoire.

p. 81-83

6

6. Un  café aux alentours du Père Lachaise

Serge, tenancier du bar-tabac sis 1 rue des Enfers. Je me demande s’il s’y est fait. Sinistre, de servir les endeuillés, et pire encore, de temps en temps, parmi les désespérés larmoyants, de vrais affamés qui hésitent entre le hachis parmentier et une bavette saignante, c’est possible avec de la purée plutôt ? et on se prend un petit pichet, hein ? on va pas se laisser crever. […]
Je pousse la porte du bistrot. C’est un troquet pourri, les chaises sont bordeaux, on les voit luire d’ici. […] J’avance vers le comptoir et interroge ledit Serge.
Monsieur ?
Il lève l’index, une petite minute.
J’ai juste perdu
J’arrive, j’arrive.
[…]
Oui, Mademoiselle ? Il a levé les yeux.
Je lui parle de mon porte-monnaie perdu. Il n’a rien récupéré depuis ce matin.

p. 84-86

7

7. Un  café aux alentours du Père Lachaise

J’entends derrière moi
Nuria ?
Le petit monsieur à la serviette soigneusement pliée s’est levé, je tourne la tête vers sa voix, il est juste sous mon nez.
Excusez-moi, on se connaît ?
Non, mais j’ai vu des photos ! Je suis Arnaud, le frère de… Je suis ton oncle.
Après l’amoureux en larmes, le frère bien propre sur lui ne me fait pas envie. […]
Tu as le temps de prendre un café ? Vous avez le temps ? Il sourit à Abel qui m’a suivie
Oui, je peux rester un peu. Un crème alors. Abel, qu’est-ce que tu veux ?
Un café et puis peut-être un truc sucré aussi ! Je vais commander. Et Abel disparaît. […]
Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? Tu dois avoir terminé tes études ?
Pas encore.
Ah bon, très bien, et qu’est-ce que tu vas faire, après ?
Je sais pas bien pour l’instant. On verra.
Bon bon. Et combien de temps tu as pour te décider ?
Encore un an.
Il me dit que ce qui compte c’est d’aller jusqu’au bout. Et il pense à elle. Ta mère, elle, ne finissait jamais rien. Elle a commencé une licence de droit, une autre d’histoire de l’art, tout ça pour faire ses peintures ! Ca, je le sais. Elle était artiste peintre. Pardon, c’est qu’elle n’allait jamais au bout des choses. Elle était comme ça. Dilettante.

p. 87-89

8

8. Pigalle

J’ai reçu : À cinq heures au Nerval. Demande Salomé.
Trouvé un bistrot Le Nerval à Pigalle Pourquoi a-t-elle mon porte-monnaie ? Il a dû glisser sous ma chaise, dans le crématorium.
On a pris le métro, avec Abel, je ne lui ai pas demandé de venir. Il est venu. Dans le métro, je n’ai rien dit. Je crois qu’Abel n’a rien dit non plus. Je n’écoutais pas. […]
Abel sait où on va, il me dit de le suivre. On traverse le boulevard de Clichy, on est en bas de la rue Lepic, celle qui part du Moulin Rouge et gravit la butte Montmartre. C’est marrant tous ces trucs de cul dans le quartier. Sur l’immeuble qui fait le coin, en caractères gigantesques : SEXODROME. Abel déplace ses yeux de l’enseigne à moi avec un sourire trop grand, genre chien haletant.
T’es un peu couillon, je lui dis gentiment.
Mais c’est un truc de dingo, non ? Les putes, les dealers, ils se sont tous barrés, mais ils ont laissé leurs néons rouges dégueulasses.
Ils ont oublié d’éteindre la lumière en partant.

p. 135-141

IMG_20180401_143757_488

9. Pigalle

Le serveur nous a ouvert une petite porte derrière le bar, pas celle d’une cuisine non, celle d’un labyrinthe obscur, fait de mille couloirs en zigzag. […] Une loge d’artiste. Les robes à sequins pendues au paravent, les tubes de paillettes sur la coiffeuse, les chaussures à talons sur mesure parfaitement alignées : c’est une loge de danseuse. Légère, la danseuse. […]
Ciao ciao ! Salomé la Rossa s’exclame en ouvrant d’un coup de vent la porte de la loge.
Bonjour Madame, je me lève d’un bond, je suis Nuria.
J’avais raison : c’est une femme belle. Plus que belle. Hors catégorie, que t’aimes les blondes, les brunes, que t’aimes les hommes, les femmes, même plus le sujet. C’est un délire cette femme. […]
On n’a pas été présentées ce matin, c’est la femme que j’ai vue déposer un baiser sur le cercueil, elle était différente, les cheveux retenus en chignon, une voilette très fin de siècle, et ce geste désuet, bizarrement démonstratif, je suis la fille de
Mais je sais qui tu es !
Sa voix – elle est cerise et santal, bonbon et ambre oriental.
C’est moi, Salomé ! Elle croit que je sais qui est Salomé, que tout le monde sait qui est Salomé. Je ne sais pas.
Vous étiez une amie de ma mère ?
Une amie… Ça la fait rire. C’était la femme de ma vie.

p. 144-147

10

10. Beaubourg

Je m’aperçois que j’ai marqué Abel de mes ongles, j’en suis fière un instant avant d’avoir honte. Abel retient mes bras qui se jetteraient sur lui encore, il me tient comme un enfant qui fait un caprice, et humiliée ridicule tremblante je murmure va-t’en. Il se lève lentement, me libère, marche vers la porte sans un mot. Je ne me retourne pas, je ne le suis pas. La porte claque. […]
Abel connaît l’attente avec les filles. Moi je ne connais pas avec les filles, pas avec les garçons non plus – je me laisse jamais assez avoir pour être de ce côté de l’attente. Je me laisse jamais assez toucher. Moi je connais l’attente avec ma mère.
On se voyait de temps en temps. Ça avait toujours été comme ça. […] Je la trouvais magnifique, ma mère. Elle me parlait de sa peinture, de ses amis. Elle me parlait de moi, aussi. Elle disait qu’on se ressemblait tellement, que j’avais le même esprit qu’elle. Je la trouvais magnifique.
Un jour, j’ai eu cette idée comme ça, et si je ne l’appelais pas cette fois, rien que cette fois, pour voir.
J’étais encore adolescente. Ce mois-là, je n’ai pas appelé. Elle n’a pas appelé. J’ai cédé le mois suivant.
J’ai appelé, on s’est vues, je crois qu’on est allées voir une expo à Beaubourg […]
Un jour, j’ai eu une idée qu’on a tous eue un jour. J’ai eu l’idée d’éprouver son amour. Demander par mon silence est-ce que tu m’aimes ? Je n’ai plus appelé. Elle n’a pas appelé. On ne s’est plus jamais vues. C’était il y a huit ans.

p. 216-220

11

11. Rue Visconti

Tout dans ma vie est l’histoire d’un jour, mais dire un jour, c’est toujours mentir. S’il fallait dire l’histoire vite : un jour, j’ai décidé de ne plus voir ma mère. Pourtant, je n’ai jamais décidé de ne plus jamais voir ma mère.
Je n’ai jamais voulu la laisser mourir sans moi. Une histoire à la con qui devient dramatique. Avant, je pouvais dire c’est une histoire très courte, il ne s’est rien passé, on ne se voit plus, c’est tout. Maintenant que dire ? Elle s’est suicidée et je ne sais pas qui elle était.
La dernière fois, elle m’avait invitée au vernissage d’une expo à laquelle elle participait. Ça s’appelait “Biodynamie lyrique – Créer la vie”. Je ne l’avais pas vue depuis un an peut-être.
J’y suis allée. Je suis arrivée devant une galerie de la rive gauche, dans une de ces jolies petites rues près de la Seine. […]
C’était la première fois que ma mère partageait quelque chose de sa vie avec moi. Je courais et je rêvais sur le chemin, dans le couloir du métro, dans la rue : elle va me présenter ses amis, et peut-être que je vais enfin le voir cet atelier. Il était urgent que je la voie, je ne sais pas pourquoi. C’était maintenant ou jamais.
J’ai tournée dans le rue Visconti, que je n’avais jamais empruntée et où je ne suis d’ailleurs jamais retournée, à moitié parce qu’elle est minuscule, à moitié parce que je ne veux plus y foutre les pieds.
Je l’ai vue. Je l’ai vue cette femme qui me ressemble tant, seulement la peau plus claire, les cheveux moins frisés, mais à part ça, cette femme brutalement comme moi, je l’ai vue, tellement plus jeune que sur la photo de Félix. Elle m’a fait l’effet d’une jeune femme, une femme qui paraîtrait ma soeur plus que ma mère.

p. 221-222

12

12. Rue d’Enghien

 Abel a noté l’adresse de ma mère, les codes et tout ce qu’il faut, quand on était chez Félix.
Sur le plan qu’il décrypte sur son téléphone, l’adresse est au coin de la rue du Faubourg Saint-Denis et de la rue d’Enghien, dans cette partie du dixième arrondissement qui est un peu turque, un peu indienne, et très gentrifiée. […]
C’est là, la petite porte bleue, troisième étage gauche.
Je me fige et marmonne on peut pas monter comme ça. Je veux dire, c’est chez elle.
Je tourne le dos à la petite porte bleue. Devant moi la rue. Sa rue. La rue où elle habitait. Celle qu’elle a traversée des milliers de fois, la rue qu’elle a montée jusqu’au boulevard de Magenta et descendue jusqu’à Arts-et-Métiers. Elle a dû passer devant mon barbier chaque jour, elle est peut-être passée un jour où j’y étais, si elle avait tourné la tête elle m’aurait vue. Peut-être qu’elle m’a vue. Peut-être qu’elle ne m’a pas reconnue.
En face de son immeuble, le Bazar du Caire ; sur le même trottoir, de l’autre côté de la petite rue d’Enghien, un primeur. Je l’imagine. Elle allait au bazar acheter du produit vaisselle à la framboise, et chez Jeannette elle buvait son café, au lait, ou noir, du sucre ou pas, le soir quelquefois une bière avec Salomé. […]
Il m’arrive souvent d’imaginer la vie des gens, la première fois qu’ils m’invitent chez eux. Elle, je ne la connaîtrais jamais, mais après avoir pénétré chez elle, je l’imaginerais mieux.
J’hésite à franchir le seuil de sa porte, de sa vie. Ce n’est pas que j’ai peur de la froisser, là où elle est. Forcer sa porte, même si j’ai la clé, c’est admettre qu’elle ne m’invitera jamais.

p. 235-237

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.