Balades littéraires

Deux petites bourgeoises

Avec Deux petites bourgeoises, Colombe Schneck nous propose un texte entre récit et enquête sociologique sur la bourgeoisie parisienne des années 70. 

On suit ainsi un duo d’amies issues de cette classe sociale pour des histoires émouvantes, éclairantes et passionnantes sur cette dernière !

J’espère que cette balade vous donnera envie de vous y plonger !

Édition utilisée

Cartographie des lieux

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1. Le Select

Héloïse et Esther sont amies depuis l’enfance. Au début du roman, on les retrouve adultes, en août 2018, dans un café. Héloïse est malade et elle ne s’en sortira pas… Elles dînent ensemble en essayant de faire fi des circonstances.

Héloïse commande des profiteroles au chocolat et remarque un homme, un habitué de ce café. Il est écrivain (ce café, le Select, situé dans le VIe arrondissement est, bien sûr, peuplé d’écrivains). L’écrivain n’a jamais distingué Esther qui elle aussi fréquente ce café, ce qui la vexe. Il regarde fixement Héloïse, l’air très séduit. Elle rougit. 

p. 14

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2. École alsacienne

On revient sur l’enfance d’Héloïse et d’Esther en retournant en 1977.

Héloïse et Esther se rencontrent donc en sixième, elles sont dans la même classe à l’École alsacienne, une école privée parisienne, une école pour bourgeois libéraux, les pires, ceux qui pensent être du bon côté parce qu’ils sont de gauche, qu’ils échapperaient ainsi à cette accusation, « Bourgeois ! ». Sale race. Elles sont des filles à papa, des gosses de riches, la cuillère en argent dans la bouche, pendant longtemps, elles ne connaîtront rien d’autre, des lunettes noires sur les yeux, leurs pistons, leurs stages, leurs tee-shirts agnès b, leurs meilleures places dans le train. Qu’elles souffrent comme tout le monde. Qu’on les enferme. Qu’elles soient humiliées, rabaissées. Qu’elles subissent ce que toutes les petites filles, les adolescentes, les femmes du monde subissent, il n’y a pas de raison qu’elles échappent, parce qu’elles sont nées dans les bons quartiers, au sort qui leur est réservé. Pourquoi Héloïse et Esther et pourquoi pas nous ?

p. 17

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3. RER Luxembourg

En octobre 1977, Héloïse et Esther vont en visite scolaire découvrir la Grande Borne, un nouveau quartier à Grigny, en banlieue parisienne. Elles prennent le RER à la station Luxembourg, la plus proche de chez elles. Les wagons blanc, bleu et rouge tout neufs, les pelouses en bas des tours, les jeux de plein air, les sculptures en forme de serpents colorés, le portrait de Rimbaud, les couleurs sur les murs, le bleu clair, le rouge, le jaune. Tout leur plaît. Esther se dit qu’elle aimerait bien vivre là, dans un immeuble moderne, plutôt qu’à Paris dans un vieil immeuble sombre. On peut les détester de ne pas voir. C’est facile et cela arrivera et elles seront punies, enfin surtout Héloïse.

p. 23

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4. Aux alentours du Luxembourg

Imaginons une enquêtrice, observatrice affûtée, à qui l’on aurait commandé une peinture sociale de la bourgeoisie parisienne dans les années soixante-dix, qui aurait été placée en situation simultanément chez les parents d’Heloïse et chez ceux d’Esther. Cette enquêtrice a fait des études de sociologie à Vincennes, elle est féministe, vient d’un milieu ouvrier. Elle aurait commencé par une description des lieux et de leurs habitants, et aurait d’abord pensé qu’il s’agit de deux familles identiques, avant de comprendre son erreur. Les mêmes appartements à côté du jardin du Luxembourg, parquet à lattes droites, cheminée en marbre, moulures au plafond (angelots, fleurs de lys), cuisines et salles de bains étroites aux céramiques de couleurs brillantes (ocre, vert pomme), salon et salle à manger séparés par des portes-fenêtres (qui ont été retirées chez Esther sur les conseils d’un décorateur, « il faut décloisonner, laisser l’air circuler »), mêmes meubles anciens (hérités chez Héloïse, achetés aux puces ou chez des antiquaires chez Esther) et contemporains (modèle italien plus subtil chez Héloïse, danois plus austère chez Esther). Elles ne connaissent que cela.

p. 24-25

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5. Rue d’Assas

Elles se ressemblent, petites, les cheveux châtains, la peau et les yeux clairs, et cette ressemblance est un des ciments de leur amitié. Elles auraient aimé être plus grandes, elles sont complexées, combien de centimètres en plus leur permettraient d’avoir davantage confiance en elles ? Elles espèrent grandir, et aussi pouvoir s’acheter des robes, des sandales, danser serrées contre des garçons qui seraient amoureux d’elles. Elles ne sont pas à la mode, les autres, ceux qui s’habillent bien, sont forts en skate, sont à quelques mois de fumer des cigarettes, ne connaissent pas leurs prénoms, ou les confondent, Héloïse et Esther, cela commence pareil, elles sont les « petites », en retard sur l’adolescence, portent de gros sacs avec leurs affaires d’équitation, de danse, sortent de l’École rue d’Assas, s’arrêtent à la boulangerie, si elles ont assez d’argent pour s’offrir des croissants aux amandes.

p. 36

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6. Rue Michelet

I1980. Héloïse et Esther ont quatorze ans, elles sortent de l’école à l’heure du déjeuner. On doit être en mars, ce premier soleil jaune pâle annonce la fin de l’hiver, Héloïse se met à pleurer, ce qui ne lui arrive jamais devant Esther. Elles sont isolées des autres, à l’angle de la rue d’Assas et de la rue Michelet, devant une vaste épicerie de luxe qui propose des bocaux de conserve où les étiquettes semblent écrites à la main. Esther se tourne vers la vitrine, gênée, puis fait face à Héloïse. Héloïse lui dit : « C’est le soleil, cela me fait penser à ma grand-mère, à Saint-Tropez. » Esther recule de quelques centimètres, elle ne dit rien, et elles rejoignent le groupe vers le Luxembourg ou la boulangerie, elle ne se souvient pas de l’action suivante, mais du soleil qui éclaire Héloïse et de son émotion, sa grand-mère, sa maison aussi étroite que haute, la terrasse plantée de jasmin sur le toit, sa salle de bain rose, son parfum Opium qui n’est pas celui d’une grand-mère, sa grand-mère, c’est l’amour.

p. 53-54

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7. McDo boulevard Saint-Michel

Cette année, Héloïse est invitée à la fête de l’Américain, pas Héloïse qui exprime sa déception de manière franche. Esther en rajoute, elle est rentrée à 1 heure du matin, elle a embrassé l’Américain, il est son petit copain, ils sortent ensemble. Il est temps pour elle de narguer Héloïse. C’est une lutte désormais entre les deux adolescentes, Esther a de nouveaux amis, Karin porte des santiags, Tom et sa veste en jean, Manu et ses Stan Smith et qui en plus joue au tennis, ils vont ensemble au premier McDo qui a ouvert à Paris, boulevard Saint-Michel avec un décor de fausses bibliothèques. Esther est dans le combat, se voit gagner, presque trop facile. Elle n’a pas compris qu’Héloïse ne joue pas avec elle, la compète ne l’intéresse pas.

p. 57

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8. Sciences po

rue Saint-Guillaume

1985. Après un an de prépa privée et un concours, les noms des admis à Sciences Po sont affichés derrière une vitrine rue Saint-Guillaume. Héloïse voit le sien, Esther non, elle est déçue puis se dit qu’il y a une erreur. Elle doit forcément être admise puisque Héloïse l’est, c’est logique. Esther va demander à un appariteur si le secrétariat compte publier une nouvelle liste dans la journée. Le sourire étonné de l’appariteur, l’humiliation transforme Esther. Elle se met à travailler. Esther a un petit copain et pas Héloïse. Héloïse a dix-neuf ans et pense que jamais elle ne trouvera quelqu’un qui lui plaise vraiment, un mari pour se marier, « fonder une famille », comme elle dit, et avoir des enfants. Le petit copain d’Esther est ce genre-là, il est parfait, il pourrait être un futur mari ; étudiant dans une grande école, joueur de tennis, propriétaire d’une voiture, beau et gentil. Héloïse répète, c’est normal que tu aies un fiancé aussi parfait, tu es vraiment jolie, plus jolie que moi. Esther ne voit pas en quoi avoir un petit copain est digne d’admiration. Elle n’a pas fait d’efforts, cela est arrivé si facilement, elle a repéré le garçon parfait, le grand frère d’une amie, il l’a repérée aussi. Ils se sont embrassés, il est amoureux et Esther aussi au début. Héloïse l’envie, Esther hausse les épaules, l’amour, c’est facile, il suffit de se laisser faire.

p. 69-70

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9. Sèvres-Babylone

1992. Esther est amoureuse d’un homme, il a quatorze ans de plus qu’elle, il est anglais. Un jour, il lui dit qu’il l’aime, il est de dos et il regarde ses pieds. Un autre, ils sont debout dans le bus 83 coincé dans un embouteillage à Sèvres-Babylone, il lui dit, restons des amis. Esther se tourne vers la fenêtre pour ne pas qu’il se rende compte qu’elle pleure, elle aperçoit Héloïse qui traverse dans les clous, elle aimerait passer par la fenêtre du bus et s’accrocher à son amie.

p. 77

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10. Boulevard du Montparnasse

On retrouve Esther et Héloïse en 2015. Héloïse s’est plaint de nausées perdurantes à Esther, qui, au départ, ne s’en inquiète pas. Par la suite, Héloïse apprend qu’elle est gravement malade…

– C’est quoi ton truc ? C’est grave ? Héloïse a répété : – Oui, il y en a partout. Esther marche vers chez Héloïse, chacune de part et d’autre du jardin du Luxembourg, Esther à Port-Royal, Héloïse à Vavin. Depuis leurs onze ans, il y a égalité, l’avantage de l’une compensé par le problème de l’autre et inversement, mais là, sur le boulevard du Montparnasse, entre Vavin et Port-Royal, il n’y a plus de comparaison possible, de ressemblance, d’avance ou de retard, il y a ce que définit Esther avec rage, une trahison.

p. 103

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11. Hôpital Cochin

2017. Elles ont rendez-vous devant l’hôpital Cochin pour la première phase d’un nouveau traitement. Esther lui a proposé de l’accompagner à l’hôpital, c’est le seul moyen de sortir d’elle-même. La veille, son amoureux l’a larguée. Il lui a asséné « arrête de pleurnicher » après lui avoir répété pendant des mois qu’elle était « la femme de sa vie ». Esther a envie de mourir puis elle a honte d’avoir une telle pensée. C’est un jour de canicule de la fin du mois de juin, Esther attend Héloïse qui est en retard. Elles ne se sont pas vues depuis dix jours. Elle observe une femme très enceinte recouverte d’un tissu noir de la tête aux pieds, accompagnée d’un homme en short qui tient un petit enfant par la main puis une silhouette maigre et courbée qu’elle ne reconnaît pas tout de suite, elle a l’air âgée. C’est Héloïse, elle a très mal aux jambes, le fémur est atteint, mais elle est venue à pied, elle habite trop près de l’hôpital, elle n’a pas osé prendre un taxi. Héloïse s’appuie au bras d’Esther, elles marchent à petits pas vers le lieu du traitement.

p. 112-113

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