Blabla littéraire

La chick lit où les origines honteuses de mon goût pour la lecture

Aujourd’hui, j’ai envie de vous parler d’un genre littéraire a priori peu reluisant mais qui me tient à coeur car il a eu une grande importance dans mon parcours de lectrice : la chick lit.

Chick lit, c’est l’abréviation de « chick literature », souvent traduit par littérature pour poulettes.

“Oui, mais encore ?” vous demandez-vous sans doute si vous n’avez jamais entendu ce terme. Si je vous dis “Bridget Jones” ou “Sex and the city”, vous devriez avoir une idée un peu plus claire de ce dont il s’agit ! 

Pour vous répondre plus précisément, je vais grandement m’appuyer sur l’article de Françoise Hache-Bissette, chercheuse en sciences de l’information et de la communication, qui permet de bien définir le genre.

No sex in the city, dernier titre de Candace Bushnell fraîchement paru.

De quoi parle la chick lit ? 

Commençons par le commencement : de quoi parle la chick lit ? 

Ce genre, extrêmement codifié, se situe dans la lignée du roman sentimental qu’il remet au goût du jour. Il se base en général sur les thématiques et les mécanismes suivants : une jeune femme, entre 20 et 35 ans, blanche, citadine, financièrement indépendante avec un boulot sympa (dans la communication, la mode ou les médias par exemple), traverse des péripéties l’amenant à la rencontre de l’âme soeur. Souvent, il y a plusieurs intrigues en parallèle, la principale étant, bien sûr, l’intrigue amoureuse ! Autre caractéristique du genre : la touche d’humour et de dérision, qui saupoudre copieusement le tout. Que l’on se rassure, les histoires se terminent évidemment toujours bien ! 

Quelques exemples de romans d'Isabel Wolff, une incontournable du genre.

À la différence du roman sentimental à la Jane Austen, le langage est plus relâché et reprend des expressions du moment. Le personnage principal évolue dans un univers ultra contemporain et a les mêmes références que son lectorat (célébrités, lieux, événements, séries…). Enfin, les personnages masculins n’ont pas de dimension héroïques et ne sont pas spécialement machos ou viriles. 

Il me semble que les hommes, s’ils sont bien représentés dans ces livres, le sont plus en tant qu’objets que sujets. L’intrigue tourne autour d’eux mais ne laisse que rarement de place à leur point de vue. En caricaturant un peu, ils n’existent finalement qu’à travers le regard de la célibataire qui cherche en eux un compagnon. 

Les origines du genre

Toujours selon Françoise Hache-Bissette, la chick lit apparaît dans les années 1990, période où le marché du célibat est en pleine expansion, ce que les éditeurs ont bien repéré. 

Nées dans la presse de manière sérielle, les aventures de Bridget Jones ou les chroniques de Sex and the city sont ensuite publiées et donnent également naissance à d’autres objets culturels. Le genre se développe donc sur des médias multiples (livres, séries télévisées et films pour ne citer qu’eux). 

Au niveau éditorial, on revient à une segmentation marketing qui vise explicitement le lectorat féminin, tout en cherchant à toucher de nouvelles lectrices qui n’étaient pas tournées vers le roman sentimental de type Harlequin. Le format et la présentation s’éloignent du poche à bas prix pour se tourner vers le grand format. Les couvertures restent ultra colorées mais sont travaillées pour avoir l’air modernes et urbaines. Enfin, la distribution ne se limite plus aux grandes surfaces mais gagne les librairies. 

Quelles représentations des femmes ?

Ce genre se fait le reflet de nouveaux types sociaux et diktats ambigus, en particulier en ce qui concerne les représentations des femmes.

 À cet égard, l’exemple de la “célibattante”, née sous la plume de Helen Fielding, créatrice de la célibataire la plus célèbre du monde est assez révélateur. Ce qui en ressort, c’est qu’à l’époque moderne, être célibataire n’est pas un problème… dès lors que c’est assumé et bien vécu par le (enfin surtout la d’ailleurs) célibataire en question. La célibattante clame haut et fort que le célibat lui convient parfaitement, qu’elle est indépendante et autonome, que sa vie est absolument géniale. Elle se moque d’ailleurs bien souvent de certaines femmes mariées de son entourage, coincées dans une vie de famille peu excitante. Mais il lui arrive fréquemment de se morfondre, seule le soir, face au désert sentimental qu’est sa vie. Paradoxal, direz-vous ? 

Oh… si peu !

Résultat des courses, on ne sait plus trop à quel saint se vouer et la conclusion à laquelle nous mène le récit n’a rien de novateur par rapport au roman sentimental : chaque femme aspire, au plus profond d’elle-même, à rencontrer l’homme idéal. Mais il ne faut pas trop le dire, au risque de passer pour une âme en peine, ce qui est loin d’être attirant. D’où l’injonction au célibat choisi, assumé et heureux, bien plus séduisant que le célibat subi. Franchement, qui a envie d’aller dîner avec une trentenaire dépressive ? Et, si jamais la trentenaire arrive à mettre le grappin sur l’homme idéal et à lui passer la bague au doigt, elle doit faire attention à ne pas se transformer en femme mariée insupportable.

Un genre ambigu  

Il ne faut pas oublier que la chick lit se caractérise aussi par ses ressorts humoristiques et par son second degré. De ce fait, le schéma présenté ci-dessus est contrebalancé par certaines saillies qui se moquent des injonctions paradoxales faites aux femmes, dont les personnages ont conscience. 

Les nombreuses aventures de l'accro du shopping, personnage de référence créé par Sophie Kinsella.

Par ailleurs, les personnages féminins de chick lit ne sont en rien des femmes parfaites. Bien au contraire. Souvent maladroites, elles se tordent la cheville quand elles portent des talons, n’ont pas un bon sens de la répartie, n’arrivent pas à manger équilibré et à garder la ligne…Ces imperfections favorisent la sympathie et l’empathie à leur égard et, surtout, peuvent engendrer un fort processus d’identification entre lectrices et le personnages. 

Une fois encore, bienvenue dans le monde des paradoxes avec ces personnages féminins qui n’arrivent pas à respecter les diktats de la société, s’en moquent et s’en agacent, mais espèrent toujours y correspondre. On trouve donc l’effet célibattante, auquel les lectrices sont elles aussi exposées ! Car, si l’humour et l’ironie sont de mise, la chick lit se revendique comme relevant du divertissement et ne se présente, en aucun cas, comme engagée. 

Lire de la chick lit fera-t-il de vous une Bridget Jones ?

Ces livres transformeraient-ils leurs lectrices en célibattantes à la recherche de l’âme soeur, passant leurs soirées à boire des Cosmopolitan entre copines en Manolo Blahnik après une bonne session de shopping ?

Il semblerait bien que non ! Déjà, parce qu’un lecteur est un individu qui baigne dans un environnement social et culturel varié. De ce fait, les représentations auxquels il est exposé sont nombreuses et peuvent évidemment être contradictoires. Ensuite, parce qu’il est toujours délicat de présumer des effets d’un texte sur ses lecteurs. 

Pour ma part, j’ai l’impression que la chick lit a surtout eu deux impacts.

Le premier concerne mon parcours de lectrice. Je pourrais raconter que, plus jeune, j’adorais lire Zola et Balzac. Ça ferait plus sérieux et intelligent que d’avouer que je dévorais des histoires de trentenaires célibataires mais la vérité, c’est qu’à 18 ans, les aventures d’une nana bossant dans la mode et collectionnant les escarpins m’intéressaient plus que celles du Père Goriot. Tous les étés, j’allais chez mon libraire pour choisir au moins 3 romans de chick lit. Ce rituel marquait le début des grandes vacances. Je me délectais à la vue de ces couvertures aussi affriolantes que des confiseries et ne boudais pas mon plaisir face aux résumés promettant des intrigues téléphonées et rassurantes. S’il y a une chose que je dois bien reconnaître à ces livres, c’est qu’ils m’ont donné le goût de la lecture. Et que, maintenant, je lis aussi des livres qui interrogent les représentations des femmes par exemple…

Le deuxième impact causé par ces lectures est lié à ces questions. S’il est fort probable que ces livres participent à diffuser et à ancrer des clichés, il me semble qu’ils permettent aussi de les dévoiler et d’en prendre conscience. À force de lire les mêmes schémas, de retrouver les mêmes types de personnages, ces mêmes mécanismes ironiques à l’égard de la condition féminine, l’effet de répétition peut amener à une forme de lassitude et de rejet de ces clichés. 

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Quelques références en ligne pour aller plus loin

« La Chick lit : romance du XXIe siècle ? » : article de Françoise Hache-Bissette publié en 2012 dans le revue Le temps des médias.

« De la presse féminine à la chick lit : un rapport de genre(s) » : contribution de Séverine Olivier à l’ouvrage Femmes et critique(s) : Lettres, Arts, Cinéma, publié aux Presses universitaires de Namur en 2009 (partiellement accessible sur Google Books.

« La chick lit ou les mémoires d’une jeune femme « dérangée » : Bon chick, bon genre ? » : article également signé de Séverine Olivier dans la revue Belphegor de juin 2007.

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