Balades littéraires

Paris Noir – La vie en rose

Cette fois-ci, c’est sur les traces d’une nouvelle intitulée La Vie en rose, tirée du recueil Paris Noir publié aux éditions Asphalte que je vous propose de partir !

Découvert au hasard de mes pérégrinations sur le salon du livre du festival Étonnants Voyageurs à Saint-Malo l’an dernier, le pitch m’a tout de suite emballée : Guide de voyage alternatif, Paris Noir permet de (re)découvrir la Ville lumière sous la plume de 12 auteurs locaux, chacun livrant une nouvelle noire inédite sur le quartier qu’il a choisi.

Comment résister à de telles promesses ?

En cherchant le livre pour ma prochaine balade, je me suis dit qu’il était temps de lui faire un sort ! Mais… Comment traiter un recueil de nouvelles pour une balade ? Faire douze posts, un par nouvelle avec une photo du quartier associé, ou choisir une seule nouvelle et la traiter à fond ?

J’ai finalement opté pour la deuxième possibilité et c’est à La Vie en rose de Dominique Mainard que j’ai choisi de consacrer ma balade. D’une, parce que j’ai beaucoup aimé cette nouvelle. De deux, parce qu’elle se déroule à Belleville, un quartier où je ne mets quasiment jamais les pied !

J’espère que la balade vous plaira et qu’elle vous donnera envie de lire ce recueil de nouvelles !

Édition utilisée

Paris Noir a été publié aux éditions Asphalte.

Cartographie des lieux

1. Rue de Belleville

Rue de Belleville, des touristes japonais attroupés devant le perron où Edith Piaf est venue au monde s’attardaient sous la fine pluie d’avril, protégés par de curieux chapeaux en plastique translucide rose portant le logo d’une agence de voyage.

Jusqu’au boulevard de Belleville, deux cents mètres plus bas, les enseignes en caractères chinois rouge vif luisaient dans le crachin. Legendre tourna à gauche, s’engagea dans le dédale de petites rues pavées menant au parc, donna un coup de volant pour éviter des gamins qui jouaient au ballon dans les flaques. Arnaud essayait de boire à même le thermos de café qu’avait préparé son ami, quand sa radio avait grésillé une demi-heure plus tôt. Ils s’étaient couchés très tard et il n’était pas suffisamment réveillé pour profiter de l’aventure, mais il eut malgré tout un coup au coeur en apercevant, quelques dizaines de mètres plus loin, les voitures de police immobilisées au milieu de la chaussée, gyrophares allumés.

p. 191

2. Rue Rouy-Jouve

Arnaud est actuellement au chômage. Il essaie d’écrire un roman noir mais peine à trouver une intrigue et un personnage d’assassin. Il a repris contact avec l’un de ses anciens amis, Legendre, désormais journaliste et détenteur d’un émetteur de police. Il propose à Arnaud de se joindre à lui pour faire de la veille. 

« – Viens dormir à la maison le week-end prochain et, s’il se passe quelque chose, je t’emmène. Avec un peu de chance, tu en verras un, de coupable idéal. Ne te fais pas trop d’illusions quand même, c’est plutôt calme en ce moment. »

Mais l’émetteur s’était mis à grésiller de bon matin et, entendant le code utilisé par les policiers, Legendre avait bondi sur ses pieds et secoué Arnaud qui dormait à même le sol dans ce deux-pièces situé au-dessus d’un primeur asiatique où flottaient des effluves fétides de durian. « Viens, dépêche-toi, avait-il dit, c’est du sérieux. » Et vingt minutes plus tard, ils tournaient à l’angle de la rue Jouyve-Rouve.

p. 194

3. Parc de Belleville

Toutes les entrées du parc de Belleville n’avaient pas été condamnées et ils purent y pénétrer sans difficulté. Ils n’étaient pas les seuls, des badauds se pressaient dans les allées, des adolescents surtout, qui se haussaient sur la pointe des pieds pour voir au-delà des barrières métalliques et des rubans jaunes tirés d’un arbre à l’autre. […]

Legendre s’était éloigné ; Arnaud l’entendait murmurer à quelques mètres, aller d’un badaud à l’autre. Au bout de deux ou trois minutes, son ami fut de retour, saisit son bras et l’entraîna un peu à l’écart. « J’ai eu des infos, dit-il à mi-voix, c’est une gamine, une métisse de dix-sept ou dix-huit ans, Layla M., elle a grandi ici mais elle habitait avec un type depuis un an. Elle dansait le soir dans une boîte de Pigalle et on dit qu’elle couchait aussi avec les clients. Elle est morte étranglée. Tu vois, tu l’as, ton sujet, reprit-il en s’animant, il suffit de trouver le coupable et tu tiens ton bouquin. »

p. 194-195

En me baladant aux alentours du parc de Belleville, je n’ai pas trouvé d’immeuble avec l’enseigne « Hôtel Boutha ». Cette dernière a-t-elle déjà existé ? Je n’en sais rien. Le quartier ayant beaucoup changé dernièrement, il est tout à fait possible que l’immeuble en question ait tout bonnement été détruit.

De ce fait, j’ai choisi un bâtiment qui me semblait évocateur de celui décrit dans la nouvelle, avec vue sur le parc.

4. Impasse de Pékin

« Tu as de quoi écrire ? Alors va interroger les voisins, les habitants de ce vieil immeuble, là, celui qui porte l’enseigne « Hôtel Boutha », ils ont peut-être vu quelque chose. Moi, je vais rester là, essayer de cuisiner discrètement ces types. Dépêche-toi, il faut que tu sois le premier à les interroger, si tu passes après les flics, ils ne voudront rien dire. »

Arnaud s’était écarté à regret de la foule. Il avait froid dans sa veste légère et il aurait voulu regagner le cercle, le cocon des spectateurs. « Mais je ne peux pas, protesta-t-il, je n’ai jamais fait ça, au nom de quoi veux-tu que je les interroge ? » Et Legendre écarta les bras en signe d’exaspération. « Je croyais que tu voulais te mouiller un peu, répliqua-t-il brusquement, mais si tu préfères sécher devant ton ordinateur, c’est ton problème. » Arnaud se sentit honteux d’avoir si mal su cacher son secret. « Mais qu’est-ce que je leur dis ? » insista-t-il. Et avant de se détourner, Legendre répondit en clignant de l’oeil : « Dis- leur que tu es détective privé, ça devrait leur plaire et ça te donnera de quoi cogiter. »

p. 195-196

5. 72 rue de Belleville

Arnaud pénètre dans l’immeuble et voit un vieil homme qui attend sur le seuil de sa porte. Il entre chez lui. Ce dernier connaissait très bien la victime, Layla, qu’il considérait comme sa fille. 

Ça a longtemps été une honte, pour elle, d’être née dans la rue. Les gosses du quartier le savaient – les gosses savent toujours tout – et vous pensez s’ils se moquaient d’elle. Alors un jour, je l’ai prise par la main – sa mère me la donnait souvent à surveiller quand elle était petite et je l’ai emmenée rue de Belleville pour lui montrer la plaque de marbre sur la façade du numéro 72, là où est née Piaf, vous savez, à cinq minutes d’ici. Et puis je l’ai emmenée à la bibliothèque pour lui montrer quelle grande dame était Piaf, je lui ai montré des livres et lui ai fait écouter des enregistrements aussi, on aurait dit une petite souris avec ces écouteurs sur les oreilles, elle avait, oh, pas plus de cinq ou six ans. Je n’avais pas de tourne-disque, sa mère non plus.

Cette histoire de Piaf qui était née dans la rue comme elle, ça a été son bonheur et son malheur. Parce qu’elle a décidé aussitôt qu’elle serait chanteuse elle aussi, et c’est vrai qu’elle avait un beau filet de voix. Elle s’est mise à chanter sans arrêt.

p. 201

6. Bibliothèque Couronnes

C’est quand elle a grandi que c’est devenu difficile. À quatorze ans, elle s’est mise à changer de nom sans arrêt, sous prétexte qu’elle cherchait son nom de scène. Elle allait souvent à la bibliothèque, avec moi d’abord, puis toute seule, c’est là qu’elle a appris tous ces noms de chanteuses ou d’héroïnes d’opéras, Cornelia, Aïda, Dorabella. Avec ça, il ne fallait pas se tromper, si on confondait son prénom du moment avec l’ancien elle se fâchait, comme si on lui parlait de quelqu’un avec qui elle se serait disputée. Un jour, pour rire, je lui ai dit qu’elle était comme un oignon qui ajoute des pelures au lieu d‘en enlever, mais après ça, elle ne m’a pas parlé pendant une semaine. Peut-être aussi que ça lui manquait, à cette petite, de porter le nom d’un homme qui aurait vraiment été son père.

Elle avait toujours dans la tête de devenir chanteuse. Ses parents ne voulaient rien savoir, bien sûr, ils préféraient qu’elle ait un vrai métier, avec un bon salaire. Mais elle n’en démordait pas. C’est sûrement là que ça a commencé à lui monter au cerveau et c’est ma faute aussi, parce que je l’ai toujours encouragée.

p. 202-203

7. Rue Piat

Layla décide de se faire connaître en participant à une émission de télé. Elle quitte donc l’immeuble pour essayer de percer dans la chanson. Le vieux monsieur qui s’occupait d’elle essaie de suivre son parcours.

J’ai commencé à passer mes soirées chez Samir, l’épicier du coin de la rue Piat. Il avait une télé dans l’arrière-boutique et quand il avait des clients, il me laissait regarder la chaîne que je voulais. J’achetais des programmes télé et je regardais toutes les émissions dont Layla m’avait parlé, ces émissions de jeunes, avec des concours ou des écoles. Il n’a pas fallu longtemps pour que je connaisse par coeur les horaires et même les gamins qui y participaient. […]

Un soir, j’ai bien cru la voir dans une émission. J’en suis presque sûr. J’avais fini par perdre espoir, j’allais chez Samir surtout parce que je n’avais plus l’habitude de rester seul chez moi, mais sans l’espoir de voir passer Layla. La fille que j’ai vue n’est restée que quelques minutes sur la scène, ils ne lui ont même laissé le temps de finir sa chanson.

p. 206

8. Pigalle

En écoutant les rumeurs du quartier, le vieillard apprend que Layla travaille dans un peep-show à Pigalle.

 J’ai attendu plusieurs semaines, le temps de trouver la force, puis j’ai pris le bus jusqu’à Pigalle, un soir, vers minuit. Je n’ai pas eu beaucoup à chercher. Il y avait des photos d’elle à l’entrée d’un des clubs. Je les ai regardées longtemps, si longtemps que le type qui gardait la porte s’est impatienté et m’a dit : « Alors, pépé, tu rentres ou tu prends racine ? » Sur certaines photos, elle portait des robes fendues sur les cuisses et entre les seins, et sur d’autres elle était presque nue. Je l’avais lavée quand elle était bébé et quand elle était petite fille, ça ne me gênait pas de la voir nue. Mais sur aucune de ces photos elle ne souriait. Le rouge à lèvres lui faisait comme une coupure en travers de la figure, elle avait perdu ses bonnes joues et ses yeux noirs semblaient très grands.

p. 207

9. Impasse de Pékin

 Layla a remarqué la présence du vieillard au peep-show. Elle revient le voir dans son immeuble. Il essaie de l’encourager à renouer avec ses ambitions premières.

« Tu peux reprendre le chant, ai-je dit. Samir cherche quelqu’un pour tenir la caisse le week-end, ça me ferait du bien de sortir un peu d’ici, et puis ça pourrait servir à te payer des leçons. C’est peut-être juste ça qui te manque pour que ça marche. »

Elle a ri à nouveau en faisant rouler sa tête contre le dossier du canapé, puis elle a dit : “Non, grand-père, c’est fini, ma voix est partie, tu n’entends pas ? Elle n’est plus là. Elle n’est plus là, c’est tout. »

Ça m’a fait mal qu’elle m’appelle grand-père parce qu’il n’y avait pas de tendresse dans sa voix comme lorsqu’elle m’appelait papou, c’était plutôt le ton impatient et un peu méprisant des jeunes qui jouent au ballon sur la petite place devant le parc et qui trouvent que je ne dégage pas assez vite le terrain. Ça m’a fait mal et juste après, ça m’a mis en colère.

p. 210-211

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